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Belle enfant - Un film de Thierry Terrasson (Jim) - 2024
Emily (Marine Bohin), une jeune femme un peu marginale et avide de liberté, apprend par l’une de ses sœurs, que sa mère, Rosalyne (Marisa Berenson) qui réside chez son oncle Remy(Albert Delpy) en Italie au bord de la mer, a fait une tentative de suicide. Elle fait donc le voyage depuis Paris pour la rencontrer.
En réalité, cette tentative qui n’a jamais existé, n’était qu’un prétexte pour revoir, une dernière fois peut-être, ses trois filles, parties depuis longtemps pour échapper à cette famille dysfonctionnelle. Elle retrouve donc ses deux sœurs, Salomé (Caroline Bourg) et Cheyenne (Cybèle Villemagne) mais s’apercevant qu’elles sont de connivence, Emily se prépare à repartir pour la France.
A Gène, elle rencontre un jeune Français, Gabin,(Baptiste Lecaplain), un amoureux éconduit à qui elle explique que sa mère, dépressive et mégalomane, n’en a jamais été vraiment une et qui, entre drague et harcèlement, lui conseille de l’affronter pour exorciser les secrets de cette famille hors norme. Il participe d’ailleurs personnellement à ce processus dans un jeu de rôles efficace.
J’ai trouvé que Marine Bohin, dont c’est le premier long-métrage, campait son personnage avec justesse. entre colère et tendresse.
C’est un film classé dans la catégorie « comédie familiale ». Personnellement je l’ai plutôt abordé comme une œuvre dramatique émouvante et qui, à travers l’opposition traditionnelle mère-fille, remet en cause la figure maternelle classiquement considérée comme le pilier de la famille et qui apparaît ici sous un jour fondamentalement différent, ce qui n’a pas été sans influencer la vie d’adulte de ses trois filles. Je ne suis pas sûr cependant, que cet épisode ait réussi à ressouder cette parentèle éparpillée, et ce malgré les efforts de cet oncle un peu perdu face à la réalité.
Quoiqu’il en soit, c’est un film attachant dans la mesure où il accepte de regarder en face la réalité de la famille à laquelle on a bien trop souvent attaché une image d’Épinal idéale.
Thierry Terrasson (Jim) qui est surtout connu comme auteur de BD, signe ici son premier long-métrage qui est une réussite. Il est plein de belles images aux accents d’une chanson italienne de Pascal et Alexandre Ignelzi. Il joue avec bonheur sur le registre de l’humour et de l’émotion.
Hervé GAUTIER - Août 2024
La nouvelle femme - Un film franco-italien de Lea Todorov.
L’éducation est un moyen essentiel dans l’émancipation de l’homme et de sa réalisation personnelle. Cette affirmation prend toute son importance quand il s’agit de personnes handicapées qui ont comme les autres le droit à la vie. Face à ce problème, les régimes totalitaires ont apporté une solution d’élimination quand les démocraties cherchent à y apporter une réponse plus adaptée. Ce fut un long combat, il est vrai souvent caractérisé par des initiatives individuelles quand la collectivité choisissait souvent d’ignorer voire de cacher ceux qui en étaient atteints.
Nous sommes à Rome en 1900 et Lili d’ Alengy, une demi-mondaine qui a fui Paris, cache sa fille idiote qui entrave sa carrière. Elle y rencontre Maria Montessori (1870-1952), une femme médecin qui travaille dans un institut pour enfants déficients et qui a développé une méthode d’éducation pour les aider à se réadapter. Il naît entre ces deux femmes que tout oppose une relation faite d’empathie, de compréhension et de volonté d’aide face à une détresse solitaire, celle de Lili qui souhaite dissimuler la présence de sa fille et celle de Maria qui veut faire reconnaître son action. Maria elle aussi cache un fils, certes normal, mais né hors mariage, ce qui a l’époque est, pour une femme célibataire, un motif d’exclusion de cette société bourgeoise, bien pensante et hypocrite.
De plus, pour une femme, être médecin est tout simplement inconcevable dans un monde réservé aux hommes et son action personnelle en faveur des enfants est éclipsée au profit de son collègue, le père de son fils,Guisepe Montesano, codirecteur de l’institut.
Lili fait profiter à Maria de sa connaissance du monde masculin et de la façon de se comporter face à lui pour lui résister et Maria aide efficacement sa fille à progresser. Maria qui auparavant ne vivait que pour la science et pour son travail se révèle être cette « nouvelle femme » qui va s’affirmer.
Ce sont les deux personnalités féminines de ce film. Cette opposition entre ces deux femmes, l’une réelle, Maria Montessori (Jasmine Trinca) et l’autre fictive incarnée par Leila Bekti, est bienvenue. Elle met en prescriptive la personnalisé de la première, autoritaire, ambitieuse et surtoutdésireuse de s’imposer dans un monde qui la rejette et la seconde qui reste une demi-mondaine mais une femme libre et indépendante qui va aider Maria à conquérir son autonomie financière , fonder son propre centre et imposer la méthode qui va porter son nom et révolutionner l’école de son temps. Elle est encore utilisée aujourd’hui.
Un autre aspect important est la relation entre Maria et son compagnon, le père de son fils, qui co-dirige l’institut, Guisepe Montesano (Rafaele Esposito) qui souhaiterait qu’ils se marient, notamment pour légitimer leur fils, mais Maria refuse puisqu’elle perdrait du même coup son indépendance, la femme mariée était à l’époque sous la tutelle exclusive de son époux. La reconnaissance de son fils par son père, qui par ailleurs de marie avec une autre femme, fait perdre à Maria ses droits sur son fils dont elle doit se séparer pendant 12 ans. C’est le douloureux prix qu’elle doit payer pour être reconnue.
Ce film est important parce qu’il met en scène des enfants réellement déficients mais dont la direction s’est adaptée à leur handicap. En outre, il s'inspire directement du journal intime de Maria.
Ce long métrage s’inscrit parfaitement dans la difficile conquête des droits de l‘enfant inadapté mais aussi la prise en compte du long combat des femmes pour la reconnaissance de leur statut au sein de la société. Le cinéma italien s’en fait actuellement l’écho, mais dans un tout autre registre, notamment avec le film de Paola Cortellesi « C’e ancora domani » (il reste encore demain) et celui de Maria Savina (« Prima donna »)
C’est le premier film de Léa Todorov, connue par ailleurs dans le domaine de réalisation de documentaires et c’est une réussite.
Hervé GAUTIER - Juillet 2024
Ressources humaines - Un film de Laurent Cantet.
Ce film de 2000 a notamment été récompensé par le « César de la meilleure première œuvre » et
celui du « Meilleur espoir masculin » pour Jalil Lespert.
Il évoque l’expérience de Franck (Jalil Lespert), un fils d’ouvrier de province qui, grâce aux sacrifices
de ses parents, a été diplômé d’ HEC et a obtenu un stage dans l’usine où travaille son père comme simple
ouvrier, depuis 35 ans. Il se retrouve aux « Ressources humaines », c’est à dire à la Direction,
chargé de mettre en œuvre les nouvelles dispositions des « 35 heures ».
Ses nouvelles responsabilités lui laissent entrevoir une carrière prometteuse au sein du groupe ,
malgré un certaine hostilité de la part de la hiérarchie intermédiaire.
Franck est à la fois l’objet de la fierté de son père mais aussi prend conscience des réalités de
l’entreprise et à ce titre est suspect de trahison de classe. Dans le cadre de ses fonctions, il s’oppose d’abord aux syndicats de gauche qui se méfient de l’usage
que fera le patron de cette nouvelle loi et réclament des négociations. Un peu par hasard, il apprend
et révèle le projet de licenciement des plus vieux ouvriers moins rentables, soutient la grève et fait
acte de rébellion face au patron qui le met à la porte.
Cette mise en perspective est pertinente puisqu’elle met en évidence les illusions d’un jeune diplômé,
fils d’ouvrier, face à la rentabilité de l’entreprise mais aussi désireux de ne pas trahir ses origines,
placé devant son avenir professionnel, conscient de la différence qui existera toujours entre les ouvriers
devenus chômeurs dans une ville de province et sa propre carrière de cadre dirigeant qui se déroulera
dans un autre contexte, ailleurs.
Ce film est bien servi par des acteurs peu connus du grand public à l’exception de Jalil Lespert. . Né à Melle de parents instituteurs, Laurent Cantet était diplômé de l’Institut des hautes études
cinématographiques ( IDHEC) et a été couronné par une palme d’or au 61° festival de Cannes en 2008 pour
son film « Entre les murs » à l’unanimité du jury. Il s’est d’abord consacré aux courts métrages – « L’étendu » (1987)- « Tous à la manif » (1994)
- « Jeux de plage »(1995) , puis aux longs métrages « Les sanguinaires »(1998),
« Ressources Humaines »(2000) pour Arte, suivis de nombreux autres jusqu’en 2021. Une belle réussite en
tout cas. Il s’est également impliqué à titre personnel en faveur des sans-papiers en 2010 puis dans la promotion de
l’égalité des hommes et des femmes et de la diversité sexuelle et de genre dans le cinéma et l’audiovisuel.
Il était également impliqué dans l’association « amitié Echire-Haiti ».
Laurent Cantet (1961-2024), réalisateur et scénariste de cinéma et de télévision, vient de mourir à l’âge
de 63 ans
Discret et indépendant, Laurent Cantet laissera l’image d’un humaniste, soucieux des problèmes sociaux de
son époque.
Hervé GAUTIER - Avril 2024
Il reste encore demain (C e ancora domani)
Un film de Paola Cortellesi. (2023)
Nous sommes à Rome dans un quartier pauvre, en 1946 . L’Italie post-fasciste se relève difficilement de la guerre. Delia (Paola Cortellesi), une mère italienne souhaite donner à ses trois enfants un avenir meilleur que le sien et en particulier à sa fille aînée, Marcella (Romana Maggiora)
Delia se débat face dans un quotidien sans joie avec un mari autoritaire et violent, Ivano (Valerio Mastrandrea), le type même du mâle qui considère sa femme comme sa chose, en abuse qui la gifle sans raison tous les matins. Delia ne trouve du réconfort qu’auprès de son amie Marisa (Emanuela Fanelli) que pour quelques moments de légèreté et grâce à de petits boulots ingrats qu’elle multiplie pour compléter le maigre salaire de son mari. Les humiliations quotidiennes qu’elle subit révoltent Marcella qui ne manque pas de le lui faire savoir. Cela passe à ses yeux pour de la lâcheté, pire peut-être pour de la soumission à un ordre établi qui fait de l’épouse un être servile et consentant, chargé du foyer, des enfants et des envies de son mari dont elle est la propriété. L’argent que gagne Ivano, il le dépense au bistrot ou au bordel, mais le tableau ne s’arrête pas là, la famille héberge également son beau-père, un vieillard lubrique et autoritaire qui inspire la conduite de son fils, et deux garçons gâtés. Délia voit dans les fiançailles de Marcella avec Giulio, d’une classe sociale plus élevée, une perspective différente pour elle mais l’attitude du jeune homme, malgré les serments et les promesses, lui donne à penser que rien ne changera. Elle y substitue une solution plus efficace à ses yeux.
Heureusement, l'arrivée inespérée d’une lettre va tout changer pour Delia, et pas seulement pour elle.
Paola Cortellesi, comédienne appréciée chez nos amis italiens qui tient ici le rôle principal, passe pour la première fois derrière la caméra pour réaliser ce film en noir et blanc qui remet le spectateur dans l’ambiance de l’époque. Il reprend les codes du néo-réalisme italien des années d’après-guerre incarnés par Vittoria de Sica (Le voleur de bicyclettes) Ettore Scola (Une journée particulière) ou Luchino Visconti (Les amants diaboliques). C’est certes une critique de la situation des femmes dans cette Italie traditionnelle de l’après-guerre qui pose aussi d’autres questions éternelles. Comment un homme jadis amoureux et prévenant avec sa fiancé devient-il violent avec elle une fois marié et ce malgré le trait d’humour qui transforme, à la grande surprise de Délia, en danse improvisée ce qui aurait pu être une série ordinaire de coups. Son courage et son abnégation recueillent la sympathie du spectateur quand elle s’oppose à l’avenir de sa fille qu’elle juge délétère, avec la complicité d’un militaire américain noir, c’est à dire lui aussi habitué à la violence ségrégationniste. Cette empathie va jusqu’à comprendre et admettre qu’elle quitte ce foyer, répondant à une demande d’un amour de jeunesse pour une autre vie malgré les enfants, l’interdit de l’Église, la mort de son beau-père...
C’est un film, pas vraiment dans l’air du temps qui étonne le spectateur et l’égare dans les arcanes des possibles mais qui se révèle être bien autre chose, autrement porteur d’espoirs qu’un banal adultère et qui a fait en Italie un nombre impressionnant d’entrées dans un cinéma italien en crise. Il a même été projeté dans les écoles pour prévenir les féminicides importants dans la péninsule et notamment l’affaire du meurtre de Guilia Cecchettin, 22 ans, poignardée en novembre dernier par son compagnon. Il a même enthousiasmé jusqu’à la Cheffe du gouvernement italien d’obédience post-fasciste, Georgia Meloni, qui l’a qualifié de « courageux et stimulant ».
Je termine cette chronique en faisant une mention spéciale à la bande-son particulièrement originale.
Alors, retour de la nostalgie ou évocation du combat des femmes pour leur nécessaire émancipation dans une Italie minée par la tradition, le bernusconisme et l’influence de l’Église ? Ce film qui non seulement bouscule toutes les tendances actuelles du cinéma ne passera sûrement pas inaperçu en France où le droit des femmes vient d’être encore une fois renforcé et officialisé.
Hervé Gautier -Mars 2024
L enlevement - Un film de Marco Bellocchio.
Titre original « Rapito » ou « La conversione ».
En 1858, un enfant juif de Bologne, Edgardo Mortada, sept ans, est enlevé par les soldats du pape au motif que, nourrisson malade censé être en danger de mort, il aurait été baptisé en secret par une servante pour lui éviter d’aller dans les limbes. Alors que la famille Mortada est tranquille et respectueuse de l’autorité papale, Bologne faisant à l’époque partie des états pontificaux., l’enfant est amené de force dans la maison des catéchumènes à Rome où, comme d’autres également arrachés à leur famille juives, il reçoit une éducation ainsi que tous les sacrements catholiques. A cette époque le pape représente une force politique et militaire importante et son pouvoir législatif est indiscutable, ce qui permet à l’Église catholique notamment ce genre d’exaction. Malgré une campagne de presse, le soutien de l’opinion publique libérale et de la communauté juive, les efforts des parents pour récupérer leur fils restent sans effet. La seule possibilité de voir leurs efforts couronnés de succès était leur conversion au catholicisme, ce qui était évidemment impossible.
L’éducation que reçoit Edgardo est un véritable lavage de cerveau destiné non seulement à le séparer de sa famille mais aussi à effacer de sa mémoire toutes les traces de la religion juive, c’est à dire d’en faire un bon chrétien et un soldat du Christ obéissant et soumis, voué le cas échéant au martyre. On change même son nom. L’hypocrisie catholique consiste à considérer le baptême comme un acte définitif sur lequel on ne peut revenir sauf à encourir l’apostasie et qui enferme l’enfant dans un microcosme où la vie d’un individu est brisée dans le seul but de l’asservir et d’assurer le salut de son âme. La presse catholique de l’époque fait écho à cette tartufferie, déguisant la triste réalité sous des mots lénifiants. Pie IX a érigé cela en une formule issue des Actes des apôtres « Non possumus » (« nous ne pouvons pas » autrement dit c’est un refus par principe de céder à une demande contraire aux valeurs catholiques). Cette lutte de l’Église catholique contre les Juifs, apparemment en sommeille actuellement, prend sa source dans le concile de Tolède de 633 qui autorise ce genre de pratique qui s’est multipliée au cours du temps. C’est aussi une affirmation répétée à l’envi pendant des décennies et bien sujette à caution, regardant les Juifs comme le peuple déicide, c’est à dire les assassins de Jésus et que tout était permis pour leur faire payer cette avanie, avec la bénédiction et surtout l’intransigeance de l’Inquisition. Le silence assourdissant de Pie XII face à la Shoah en est notamment un triste exemple. Dans ce film, le pape ne manque pas une occasion d’humilier les juifs pour leur signifier son pouvoir sur eux ?
Edgardo Mortada (1851-1940) poursuivra son parcours dans le catholicisme, recevant notamment les ordres religieux et se transformant lui-même en missionnaire et en prosélyte, de sa propre volonté cette fois, et ce malgré l’affaiblissement des pouvoirs du pape et la libéralisation de la vie politique en Italie. Il meurt dans une abbaye près de Liège juste avant l’invasion nazie. Il n’a pas été le seul à être ainsi victime de l’Église.
C’est un grand film, sorti en 2023 , long (2h14), bien documenté et servi par de bons acteurs (Paolo Pierobon, Barbara Ronchi …) qui met en lumière une des nombreuses exactions de l’Église et participe de la prise de conscience actuelle des scandales et des graves manquements dont elle s’est rendue coupable au sein de nos sociétés occidentales où elle était jadis bien implantée, ce qui faisait d’elle une référence qu’elle n’est plus aujourd’hui. Après avoir été pendant longtemps un solide pilier sociétal, elle a manqué à sa mission moralisatrice et spirituelle et le vide ainsi laissé a été rapidement comblé par d’autres forces religieuses.
Cette authentique histoire se déroule en Italie. Dans notre pays, les événements récents mettant en lumière les pratiques pédophiles de certains membres du clergé relancent la polémique contre cette institution comme l’a illustré le film de François Ozon « Grâce à Dieu ».
Hervé GAUTIER Novembre 2023 ?
Un film italien (coproduction franco-italienne) de Francesca Archibugi (2022)*
Ce film est une adaptation du roman homonyme de Sandro Veronesi, couronné en 2020 par le Prix Strega. Cet ouvrage, expérimental dans la forme, a la caractéristique d’être destructuré en ce sens que son auteur ne respecte pas la linéarité narrative. C’est une histoire compliquée d’amour et de vie, déclinée sous forme de nombreux flash-back où le spectateur se perd un peu entre survivance à un accident d’avion, un problème de culpabilité, des amours chastes, des parties de poker...
Au début, un ophtalmologue, marié et père de famille, Marco Carrera (Pierfrancesco Favino), surnommé « Le Colibri » par sa mère à cause sans doute d’un retard de croissance mais surtout parce que cet oiseau a la caractéristique de rester à la même place et même de voler à reculons en bravant les changements, apprend de la bouche de Daniele Carradori(Nanni Moretti),le psychiatre de sa femme Marina (Kasia Smutniak) que celle-ci le trompe. Cette révélation, déontologiquement interdite, met en exergue le destin compliqué de Marco, qui a peut-être toujours voulu refuser l’évidence, qui cherche à résister aux coups que le sort lui envoie. Sa femme est jalouse et cette jalousie est justifiée par le fait que Marco a effectivement une maîtresse, Luisa (Bérénice Bejot), elle-même mariée, mais cet amour qui remonte à l’adolescence est platonique, fait de courriers amoureux et seulement de sages baisers sans qu’aucun des deux ne se résolve à obtenir le divorce et à vivre cette liaison au grand jour, un peu comme si cette règle du jeu amoureux était un gage de survie pour tous les deux. A partir de ce moment, il explore sa mémoire, remonte le temps en évoquant les personnages qu’il a croisés. C’est son frère avec qui il a des relations compliquées au point de ne plus lui adresser la parole à cause du suicide de leur sœur mais surtout les femmes, la sienne qui finit par lui avouer qu’elle ne l’a jamais aimé et qui obtient le divorce, son amoureuse avec qui il vit un amour passionné, sage mais secret, sa fille, perturbée par la certitude d’avoir un fil invisible dans le dos qui la retient(cette obsession la suivra jusqu’à la fin), sa sœur qui se suicide, puis sa petite-fille de qui il choisit de s’occuper seul parce qu’elle est sans doute, à ses yeux, celle qui peut racheter toute la tragédie de sa vie.
Dans cettehistoire se bousculent l’hypocrisie des liens familiaux et matrimoniaux, l’adultère, la culpabilité, la résilience, le mensonge, le pardon, le deuil, mais aussi la maladie et la mort. Pour autant je ne suis pas bien sûr que Marco mérite son surnom jusqu’à la fin puisqu’il choisit lui-même de mettre volontairement un terme à son drame personnel, refusant en quelque sorte de se laisser encore ballotter par un destin funeste, un peu comme si, épuisé, il renonçait. Car c’est la Camarde qui s’invite aussi dans sa vie, à travers notamment le suicide de sa sœur, Irène, l’accident mortel de sa fille, ce qui dans sa vie inverse le cours naturel des choses et qui impose aux parents le deuil de leur enfant.
Un film qui interroge le spectateur et assurément ne le laisse pas quitter la salle indemne.
*Film présenté dans le cadre de Cinetalia- Premier festival du film italien à Niort.
Hervé GAUTIER - Mai 2023
La conspiration du Caire - Un film de Tarik Saleh.
(Prix du scénario – Festival de Cannes 2022)
Adam, le fils d'un pêcheur pauvre et modeste pêcheur lui-même, est choisi pour aller étudier la théologie à la prestigieuse mosquée Al-Azhar du Caire, haut-lieu de l'Islam sunnite. Il a même obtenu une bourse pour cela; son avenir s'annonce donc sous les meilleurs auspices. Il craint que son père, veuf, ne s'oppose à ce départ, mais, à sa grande surprise l'homme l'accepte puisqu'il y voit la volonté de Dieu. Au moment où il fait sa rentrée, le grand Imam qui la dirige meurt subitement. Son influence est respectée, ses fatwas sont redoutées jusque dans le mode politique, et se pose alors la question de son remplacement. Or, dans le même temps, cet établissement est l'objet d'infiltrations des radicaux "frères musulmans" qui veulent imposer leur candidat. Si un tel événement arrivait ce serait la fin du rayonnement millénaire de cet éminent centre d’études de l'Islam qui est l'enjeu d'influences entre les pouvoirs temporel et spirituel qui dans ce pays sont intimement liés. Adam est un jeune homme naïf à la foi sincère qui est un peu perdu dans cette grande ville qu'il ne connaît pas et dans cette mosquée qui lui est étrangère, mais qui entend bien mener ses études sérieusement et dans le respect des préceptes de la religion. Il se lie d'amitié avec un autre étudiant qui est tué sous ses yeux dans l'enceinte de la mosquée dans le cadre de cette lutte pour le pouvoir et une enquête est ouverte par la "Sûreté de l’État". Parce qu'il vient de la campagne et qu'il n'a pas d'attache au Caire, un officier chargé de l'enquête le recrute et lui fait comprendre qu'il n'a pas le choix, son ami assassiné était un de ses informateurs. Il se retrouve donc malgré lui au centre de cette lutte pour le pouvoir et la police politique le charge d'infiltrer "Les frères musulmans" et de faire échouer leurs manœuvres. Il ne peut évidemment pas s'opposer au recrutement dont il fait l'objet. Il devient donc un espion, un simple pion dans des luttes politiques qui le dépassent et où il a beaucoup de mal à se positionner. Dans un univers qu'il découvre chaque jour, et à cent lieues de ce à quoi il s'attendait, il tente de survivre, écartelé qu'il est entre les différents courants de l'Islam, le respect des dogmes religieux, l’obéissance aux ordres, le devoir de survie, la volonté de revoir sa famille, le sacrifice de sa propre vie au service d'une cause dans laquelle il n'est rien.
Avec ce film, Tarik Saleh, réalisateur suédois d'origine égyptienne, signe une œuvre politico-religieuse haletante ou de suspense est entretenu jusqu'à la fin. Un film dur mais aussi un grand film, servi par des comédiens de talent (Fares Fares, Tawfeek Barhom) où ce cinéaste prend des risques en s'attaquant ainsi à un sujet sensible et actuel qui a pour centre l'Islam et le pouvoir politique égyptien. Ce film s'inscrit dans la démarche de Tarik Saleh (né en 1972) qui n’hésite pas à interroger notre société en général sur ce qui peut la déranger. Déjà, en 2017,avec "Le Caire confidentiel", film interdit en Égypte basé sur une histoire vraie, il avait dénoncé la corruption à la fois de la police mais aussi de la société égyptienne, ce qui lui a valu une interdiction de séjour dans ce pays au point qu'il a dû tourner " la conspiration du Caire" à Istanbul.
Hervé GAUTIER
The quiet girl ? Un film de Colm Bairead (2022).
Nous sommes dans l’Irlande catholique des années 1980. Càit (Catherine Clinch), une fillette de neuf ans, effacée, mal aimée, pas vraiment fan de l’école et soucieuse de sa liberté et de sa solitude, vit à la campagne, dans une famille nombreuse qui connaît des difficultés financières avec un père peu attentif à son foyer. Parce que sa mère est de nouveau enceinte, ses parents décident de l’envoyer pour les vacances d’été dans une ferme appartenant à de lointains cousins sans enfants, qu’elle n’a jamais vus mais qui la connaissent. En réalité c’est une manière peu élégante de se débarrasser d’une bouche à nourrir.
C’est le début d’une histoire pleine d’émotions qui aurait pu être banale mais qui fait découvrir à la petite fille, une femme, Eibhin (Carrie Crowley) qui la prend d’emblée en amitié puis son mari Seàn (Andrew Bennett), plus taiseux et froid au départ mais qui l’adoptera vite. Cela devient pour elle une vraie famille, bien différente de celle que le hasard lui avait désigné. Cet attachement est subtilement distillé par de petites touches de la part de Seàn, un petit gâteau sur le coin d’une table, un gros billet pour qu’elle s’achète une simple crème glacée ou des robes neuves qu’on lui offre, un complicité grandissante entre Càit et lui, comme la course quotidienne vers la boîte aux lettres et un symbole, une troisième lumière aperçue au bord de la mer, dans la nuit. Càit y trouvera sa place, sortira de la torpeur malsaine de son enfance et illuminera ce couple malmené par la vie, malgré les hésitations, un secret qu’elle y découvre par hasard, les méchancetés curieuses des voisins, une autre manière pour elle d’entrer malgré tout dans le monde des adultes avec ses difficultés, ses secrets et ses deuils. C’est une sorte de période de transition pour la petite fille et pour ses cousins, chacun reprenant à sa manière le goût de vivre. Elle prendra chez eux quelques centimètres et des couleurs grâce à une nourriture saine et une attention de tous les instants, ils puiseront durant ces quelques semaines une nouvelle occasion de se rapprocher l’un de l’autre et cette expérience d’un été se conclut dans une émouvante image de fin. Ce long-métrage souligne la fragilité des choses humaines, la délicatesse des sentiments malgré les épreuves, la douceur du sourire retrouvé, la redécouverte d’un amour qu’on croyait définitivement perdu.
Ce film est une adaptation d’un roman de Claire Keegan, « Foster », paru en 2011, publié en France par les éditions Sabine Wespieser sous le titre « Les trois lumières ». C’est une belle histoire, remarquablement servie par des personnages lumineux, tout en nuances et en sensibilité, admirablement photographiée et mise en scène avec une simplicité apparente mais cependant poétique et bouleversante.
Hervé GAUTIER / Avril 2023